mardi 16 juin 2015

La Critique Dessinée - JURASSIC WORLD


La priorité pour une suite, surtout lorsqu’elle débarque plusieurs années après le premier film, est de réactualiser le message de l’original, de le faire résonner d'un nouveau timbre adapté à un nouveau public – ou, dans le cas présent, à un public qui grandi depuis son premier visionnage.

Le thème principal du premier Jurassic Park, et le ressenti en est d'autant plus intense lorsqu’on a vu le film pendant sa tendre et impressionnable jeunesse, était l’émerveillement. Les personnages étaient constamment, même face à des prédateurs, profondément fascinés par le grandiose de ces forces de la nature. Du même coup c’était aussi le cas du public, dont les mirettes furent marquées à vie par ces effets spéciaux criant de vérité. Ces monstres sacrés âge marquèrent l’avènement d’une nouvelle ère pour les images de synthèse dans l’industrie cinématographique.

Aujourd’hui nous sommes en 2015. Nous avons été saturés, gavés jusqu’au trop-plein du numérique. On a les dents du fond (vert) qui baignent. L’émerveillement a fini par s’estomper pour laisser place à une lassitude presque coupable devant des effets spéciaux qu'on sait pourtant ultra-travaillés, mais que pouic, nos rétines ont depuis longtemps été anesthésiées pour nous faire tomber dans une torpeur dont les cinéastes doivent redoubler d'ingéniosité pour nous faire sortir.

C’est justement le propos de Jurassic World.

Quel meilleur sujet pour ce nouveau film que la fatigue du blockbuster ? En effet, le fameux parc tel que l'avait autrefois rêvé John Hammond est maintenant ouvert à l'humanité, mais aux rugissements de ces merveilles de la nature se répondent déjà les bâillements des visiteurs.

Propositions rejetées de nouveaux noms pour le parc.

Dans ce monde, l’ex-exctinction des sauriens est une réalité depuis vingt ans, et il est sincèrement lucide de penser que si c’était aussi le cas dans notre monde le soufflé de l’enthousiasme serait vite retombé. Du coup, les organisateurs du parc ( comprenez, les producteurs, le monde du cinéma ) doivent investir dans la création d’une nouvelle monstruosité très attendue (le blockbuster), croisement de toutes les espèces favorites du public (=qui combine tous les éléments préférés de l'ancien film pour les fans ) qui sera plus grosse, monstreuse, puissante, terrifiante pour ameuter les foules. Mais très vite l'Indominus Rex, car c'est son nom, s’échappe et sème la panique sur une île surpeuplée de touristes, et on se rend vite compte qu'il est au final contre-nature (et très contre-productif)  de vouloir aller toujours plus loin…

Bref, vous l’aurez compris, c’est un blockbuster qui critique les blockbusters, un genre dont les fondateurs et maintenant détracteurs Messieurs George Lucas et évidemment Steven Spielberg, prédisent toujours l'explosion de la « bulle spéculative » pour ces mastodontes que sont les films à gros budget.

Très sincèrement je ne pense pas qu’on pouvait trouver de propos plus pertinent que celui-ci pour un nouvel opus de la saga Jurassic Park. C’était assurément le message qui devait s’adresser au monde d’aujourd’hui, et la métaphore filée relevait du génie.

Et c’en est d’autant plus désespérant.

A peine sorti de sa coquille, mon intérêt pour Jurassic World a été tué dans l’œuf lorsque j’ai vu ce qu’ils nous avaient pondu. Car ce film qui propose une méta-réflexion tellement intéressante de sa propre condition tombe complètement dans les travers du genre qu’il dénonce. On a droit à clichés vieux de  65 millions d'années,les dialogues sont téléphonés, les personnages creux et qui s'enfoncent tellement dans la mouise avec leurs décisions débiles qu'on en arrive à ne plus s'inquiéter de leur survie, les rebondissements sont tellement lourds qu’on les entend venir à dix kilomètres - de quoi faire trembler la surface de l'eau d'un verre.

C’est plutôt bas de gamme pour tout ce qui touche à l’écriture. Pour déterrer le superbe fossile de la double lecture il faudra malheureusement creuser à travers plusieurs strates de bullshit.

Et si le film entier était une référence à cette scène du premier film ?
Et je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi. Est-ce du second, troisième degré ? Quelque chose m’échappe profondément. Pourquoi dénoncer le genre si c'est pour rester complètement dans ses codes usés jusqu'à la moëlle ?

Pour donner un exemple symptomatique de ce problème : un personnage soulève le ridicule du port de talons aiguilles du protagoniste féminin en pleine jungle. On sourit face à cette remarque pleine de bon sens. Mais malgré cela le personnage gardera ses talons hauts PENDANT TOUT LE FILM et arrivera même à distancer un T-Rex avec ses escarpins. Pourquoi ?!

A un autre moment, un personnage s’amuse de la dépendance du parc par rapport à ses sponsors, en suggérant qu'à ce stade les multinationales pourront bientôt nommer à leur guise les prochains dinosaures, ce qui donnerait des noms comme le Pepsioaure, etc…Très bonne critique des entreprises en haut de la chaîne alimentaire qui envahissent l'industrie du cinéma. Mais alors je souhaite qu’on m’explique pourquoi le film regorge autant de placements de produits, qui sont franchement assez appuyés ( Mercedes, Coca-Cola, Pandora )? Auto-dérision? Je n'arrive pas à savoir si le Jurassic World est juste une énorme blague, mais si c'est le cas elle a toute la subtilité du brontosaure.

Petit commentaire sur les personnages principaux. Claire Dearing (interprétée par une Bryce Dallard Howard avec la coiffure de Chantal Goya) est la superviseuse en chef des attractions, et la rouquine tombe sous le cliché un peu sexiste de la femme qui délaisse ses «priorités» familiales pour le travail, ce que le film semble visiblement condamner, puisqu’il ne lui offre de rédemption qu’avec la romance (obligatoire et amenée comme un cheveu sur la soupe) avec le héros principal. L'ennui c'est que les éléments du film semblent démontrer que notre bosseuse zélée est franchement une quiche niveau boulot, donc niveau incompétence elle coche toute les cases. Heureusement son envie de procréer sera titillée à la fin du film pour un retour naturel dans l'ordre des choses, selon les voeux sa pimbêche de soeur qui n'arrête pas de lui reprocher son absence d'envie de fonder une famille - et qui soit dit en passant n'hésite pourtant pas à lui refourguer ses marmots.

On sait qu'un film a échoué lorsqu'on souhaite que les personnages se fassent bouffer.
Et que dire de ces derniers, clones ratés de Claire et Tim du film de 1993 ? J’étais un peu interloqué de voir le traitement du petit geek des dinosaures. Ce gosse doit après tout représenter pas mal d’entre nous, qui nous sommes intéressés aux reptiles d'antan grâce au film, et dont 80% de nos listes de père noël en jouets ou livres avaient un rapport avec les dinos ( peut-être que je parle seulement pour moi). Mais dans le film, le gamin se fait rembarrer à chacune de ses envies d’étaler sa science, et révèle un caractère assez pleurnichard. Je me suis senti légèrement insulté. Je ne parle même pas du grand frère, un ado renfermé, uniquement guidé par ses hormones et ses décisions stupides qui ne feront que les entraîner vers plus de danger. Difficile de croire que ces deux mioches sont censés faire resurgir la fibre maternelle de Claire quand on les voit plutôt comme une publicité ambulante en faveur de l'avortement.

Owen Grady ( j'imagine qu'il s'agit d'une référence à Richard Owen, l'un des premiers paléontologues de l'Histoire), joué par Chris Pratt, est le seul véritable personnage qui captive un tant soit peu. Bizarre, quand l’idée de l’homme qui murmurait à l’oreille (?) des raptors paraissait être la plus ridicule du lot dans les bande-annonce. Mais c’est facile de comprendre pourquoi on s’attache au personnage, au-delà du charisme sympatoche et naturel qui émane de l’acteur : dans toute cette galerie de branquignols, c’est le seul du casting un tant soit peu sensé de tout le film ! Seul hic, Owen ne subira aucun développement, étant juste parfait dès le début et ne disposant donc pas d'un arc narratif visible.

Au niveau esthétique, chacun ses goûts, mais je n’ai pas trop accroché à l’ambiance toute lisse et immaculée de l’ensemble, avec ses hologrammes Avataresques et surtout son ciel bleu bien dégagé, alors que les deux premiers films étaient surtout connus pour leurs ambiance nocturne sous une mousson battante qui à mon avis contribuaient à la tension dramatique.Quant aux effets spéciaux ils sont de bonne facture, mais rien de révolutionnaire non plus. On retombe donc justement dans le côté plutôt blasé de la surabondance du numérique critiquée par ce même film.

Les points positif du film ? Quand il ne perd pas son temps avec l'aspect humain, on a droit à beaucoup de scènes d'action palpitantes, bien rythmées et plutôt omniprésentes, car on sait depuis longtemps que le spectateur de blockbuster est une créature dont la vision est basée uniquement sur le mouvement.

Les passages que j’ai le plus aimés se résument surtout au généreux fan service du film. Les références directes au film de 1993 abondent, que ce soit en lieux, objets ou voire plans et mises en scène rendus iconiques. J’étais réellement heureux et avais pour le coup véritablement l’impression de revisiter le parc originel dans ses moments, ce que les deux films suivant avaient plutôt fait avec parcimonie. Mais cela reste un problème quand je me rend compte que je n’ai apprécié ce film que pour ce que je voyais dans le rétroviseur de ma nostalgie sans apprécier ce que Jurassic World me proposait par lui-même. Et il y a hommage et rebâchage. Plusieurs passages du scénario ont tout du moustique qui repompe tout simplement l’original pour servir ensuite à construire un film qui contient quelques séquences d'ADN du premier et dont on comble les trous comme on peut.

A sa décharge, on notera une certaine humilité dans ce film, car il ne prétend pas être supérieur à l'original, et cela est visible dans le grand vainqueur du combat final... De toute manière, il était prévu d'avance que Jurassic World ne ternirait pas l'aura de Jurassic Park, qui restera a jamais magnifié dans l’ambre dorée des nineties, tel l’ornement de la canne d'Hammond, notre tonton à tous.

Le film bat déjà plusieurs records (on parle d'une suite) mais très sincèrement, je pense qu’à cause de ces défauts le film ne pourra pas marquer de façon indélébile toute une génération. Il ressemble beaucoup trop à tout ce qui a déjà été fait et se fait encore en se moment. Et c'est tellement dommage quand on sent à quel point il a beaucoup de choses à dénoncer sur l'industrie du box office, mais qu'il hélas n'essaye même pas de proposer quelque chose de nouveau.

Je m'attends au pire.

P.S. Je terminerais avec un point non-essentiel mais qui me tenais à coeur : je fais partie de ces personnes qui auraient voulu enfin voir des dinosaures à plumes sur grand écran. Ca peut sembler secondaire, mais si j’y attache une importance, c’est parce que Jurassic World, tout comme ses prédécesseurs, va toucher un public énorme. Il est indéniable que Jurassic Park a ancré pour toujours une vision particulière des dinosaures dans l’imaginaire collectif. Et comme s’il était conscient de cette responsabilité, les créateurs du film avaient tenté de collecter tout ce que l’on savait des dinosaures à cette époque, pour offrir une vision certes pas 100% exacte mais en tout cas très proche de l'état des recherches au début des années 90. Le film avait même contribué à la naissance de nouvelles théories paléontologiques ! Maintenant, ajoutez une vingtaine d'années de recherche, et vous pouvez imaginer que l’on a récolté pas mal de données supplémentaires depuis, qui mettent un peu à mal l'image d’épinal du dinosaure à la peau écailleuse et nue, et parmi elles le fait que les sauropodes (alias les dinosaures bipèdes et souvent carnivores, vos préférés, désolé) étaient franchement bien fournis niveau rémiges. C'est une théorie scientifique admise par la quasi-totalité des paléontologues grâce aux fossiles découverts. On est en même à reconstituer les couleurs du plumages pour tout vous dire !


Alors bien sûr on va me rétorquer que des dinos à plumes, ça perdrait beaucoup en capital terreur, mais pour avoir vu des représentations sublimes de paléoartistes que je vous invite à voir ici, je me dis qu'ils auraient pu être à la fois majestueux et inquiétants - car rarement représentés ainsi dans les médias. 

Bon, si on veut aller vers l'exactitude, faut aussi savoir que le raptor mesurait 1,5 m et pesait 20 kilos...
Ce serait comme redécouvrir avec des yeux neufs les dinosaures, et c’est pourquoi il est presque anachronique aujourd’hui que ce film continue à véhiculer une image qu’on sait désormais obsolète,juste pour ne pas trop secouer le public habitué aux lézards tous lisses. C’est  un peu comme si la série Vikings s’amusait à foutre des casques à cornes à tous les protagonistes par peur de déstabiliser l'audimat. C’est donc pour moi une occasion véritablement manquée qui aurait pu non seulement donner une identité à Jurassic World dans la franchise en l'ancrant véritablement dans notre siècle. mais surtout cela aurait été fidèle à la volonté du film original.



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